Lutherie québécoise - Des guitares complètement givrées

29 décembre 2020
Lutherie québécoise - Des guitares complètement givrées

LA GUITARE-FRUIT WURCER DE THIERRY ANDRÉ

Voici une sélection – agrémentée de quelques bonus – de six modèles de six-cordes extravagantes, imaginées et conçues par des artisans québécois. Attention, les yeux… et les oreilles ! 

Quelle guitare signée Thierry André présenter ?

Cruel dilemme. Les réalisations de haute volée de ce luthier établi à Québec rivalisent toutes de beauté et d’inventivité. Allez, cueillons la guitare-fruit Wurcer, finalisée en 2018 dans la lignée d’une série d’instruments sur ce thème. « C’était une commande de Steve Wurcer, un musicien du Wisconsin. Il m’a donné carte blanche, en mentionnant son amour pour l’art égyptien », explique l’artisan réputé. Il a ainsi fait mûrir une guitare acoustique hyper originale composée d’une imposante calebasse, d’une table d’harmonie en cèdre ancien, d’une touche en ébène africain et d’un chevalet (pièce supportant les cordes) d’érable du Québec et recouvert de cuivre. Des motifs évoquent subtilement les peintures hiéroglyphiques du temps des pharaons.

De ses rondeurs improbables et de son aspect antique jaillissent des sonorités cristallines ; elle est aussi à l’aise sur des airs de jazz. Son acquéreur dit notamment avoir été surpris par sa jouabilité et la complexité de sa tonalité. Cet instrument hors normes a été vendu 10 400 $. On vous invite par ailleurs à découvrir les autres créations de Thierry André, délicieusement inspirées et pittoresques.

LES GUITARES-HARPES DE MICHEL PELLERIN

Les musiciens gourmands qui en veulent toujours plus pourraient mettre le doigt sur une de ces drôles de guitares acoustiques à registre étendu, pouvant compter jusqu’à 15 cordes supplémentaires, graves ou aiguës, voire davantage. Cet instrument populaire il y a plusieurs siècles, avant de tomber en désuétude, a connu un regain d’intérêt dans les années 1980.

Quand l’un des clients de Michel Pellerin lui a commandé ce type d’instrument en 2007, le luthier de Thetford Mines a fait face à un double défi : « Il y a beaucoup de tension due au grand nombre de cordes, et il n’existait pas vraiment de plan détaillé standard », se souvient-il. Depuis, il a réalisé huit guitares-harpes, et le défi s’est désormais déplacé dans le camp des musiciens. « Mon client jouait de la guitare depuis 25 ans. Ça lui a pris un an et demi avant d’être assez à l’aise pour faire un spectacle avec cet instrument ! » Également pianiste, l’artiste cherchait à obtenir des registres très étendus.

LA GUITARE-SILENCIEUX DE JEAN-LUC BOUTHILLIER

Jean-Luc Bouthillier le dit tout de go : fabriquer des guitares de type Fender ou Gibson, ça ne l’intéresse pas. Et ce luthier de La Prairie le démontre avec un éventail de créations toutes plus osées les unes que les autres : guitares électriques en forme de pointe de pizza, de logos d’équipes sportives (les Expos !), munies de lampes intégrées (un système de préamplification et d’amplification apportant de la chaleur)… et ce projet un peu fou, lancé en 2016.

« J’étais parti faire réparer le silencieux de mon auto, et le garagiste m’a demandé de faire une guitare pour sa compagnie, avec un vrai silencieux », explique M. Bouthillier. Le pari est risqué, ce genre d’expérimentation aboutissant souvent à une sonorité « casserole » peu reluisante et des problèmes de larsen (sifflements aigus indésirables). Mais il le relève haut la main, parvenant à doter sa guitare-silencieux d’un rugissement remarquable. Le secret : « Je n’ai pas vidé l’intérieur ni coupé les extrémités, comme certains le font », révèle le luthier, qui a utilisé du frêne pour « farcir » la pièce métallique, puis installé des micros Wilkinson. Le grand défi ? Fixer le manche sur la bête, dont la valeur tourne autour de 1600 $. Idéale pour embarquer sur la Highway to Hell.

LA GUITARE CASSE-TÊTE DE JULIEN BERGERON

Construire une guitare peut s’avérer un sacré casse-tête en soi. Le luthier montréalais Julien Bergeron a quant à lui décidé d’en faire un casse-tête, mais littéralement. Alors qu’il était en train de travailler sur l’une de ses créations, une guitare acoustique à large caisse, il a soudain décidé de corser le jeu. « En plein milieu du projet, je me suis dit que ce serait le fun de continuer le restant de cette guitare-là sans plus utiliser de colle, de clous ou de vis. Juste du bois encastré dans du bois. Elle s’assemble en 5 à 10 minutes et on a une guitare fonctionnelle », explique M. Bergeron, qui fabrique des instruments uniques depuis 15 ans.

L’« Étude no 1 » peut donc se décomposer en désolidarisant des parties comme le manche ou le chevalet. Ce modèle a servi par la suite de base pour la Renard, évoluant au gré des bois et des expérimentations – mais qui ne s’emboîte pas comme le prototype précédent. En fait, la guitare casse-tête était davantage un défi ludique pour le luthier qu’une aspiration à créer une série. « C’est vraiment une des plus spéciales que j’ai faites, mais je n’ai pas prévu d’en refaire tout de suite », confesse-t-il.

LES GUITARES-BOÎTES À CIGARES DE DADDY MOJO

Dans le monde des guitares, les rondeurs dominent. Mais ce serait oublier ses origines, quand les musiciens américains démunis d’antan se fabriquaient des instruments avec des matériaux recyclés, dont des boîtes à cigares, produisant des sonorités typiques du blues d’époque.

Fascinés par cette ancienne tradition, les fondateurs de l’atelier montréalais Daddy Mojo se sont lancés en 2006 dans la reproduction de ces modèles, agrémentés de toutes sortes d’expérimentations et d’ornements peints à la main. Les boîtes à cigares, d’abord importées des Caraïbes et d’Amérique centrale, proviennent aujourd’hui de Baie-d’Urfé, servant de base pour l’atelier qui les façonne à son goût, en érable 100 % local. Le résultat, tant sonore que visuel, est des plus surprenants, avec cette forme rectangulaire et ces peintures rétro artisanales, représentant des pinups ou d’anciennes étiquettes de cigares.

« C’est un instrument qui ne se prend pas trop au sérieux, qui a quelque chose de ludique. Il y a une certaine chaleur, une rondeur qui s’apparente à… un tourne-disque ! Un aspect vieillot s’en dégage, comme un vieil enregistrement de blues », explique Lenny Piroth-Robert, artiste multidisciplinaire et luthier autodidacte, implanté dans le Mile End.

Pouvant être muni de quatre à six cordes, le diapason (longueur de la corde) reste le même que celui d’une guitare standard, même si le corps est plus court. Le projet s’est avéré un coup fumant, de très grands noms s’étant procuré ces curieux instruments : Jack White (The White Stripes), The Edge (U2), John Fogerty (CCR), et on en passe.

LA HUNTER BIRDS DE CRAZY FACTORIES

Cette toute jeune entreprise de Québec qui regroupe des artistes de diverses disciplines s’est donné pour objectif de créer des guitares répondant aux aspirations les plus folles tout en restant abordables. Peintre, ébéniste, pyrograveur, graphiste… jusqu’à huit paires de mains peuvent intervenir sur un modèle. L’une de leurs fières réalisations de 2020 : la Hunter Birds, une électrique inspirée par les boisés, aux formes et aux motifs novateurs.

« Le client qui a commandé cette guitare voulait une pièce spéciale. C’est un chasseur, c’est pourquoi elle est très nature, avec des pyrogravures complètes sur le bois. On la voulait à la fois ergonomique et attractive », détaille Brandon Lessard, à la tête de Crazy Factories. Le corps en érable, qui évoque une souche de bois, présente une silhouette asymétrique inusitée. Des motifs représentant un chevreuil, un aigle et un paysage forestier le recouvrent entièrement, le tout étant protégé par de l’époxy. Le manche, basé sur le modèle des fameuses Paul Reed Smith avec ses repères en forme d’oiseaux, a été personnalisé pour s’accorder avec le tout. Son prix de vente : 1450 $.

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